prix de poésie du monde français et francophone
Né à Reims en 1937, Marc Alyn reçoit le Prix Max Jacob le jour même de ses 20 ans pour son premier recueil - Le Temps des autres (Seghers). Il fait ses débuts de critique dans Arts et Le Figaro littéraire, fondant parallèlement la collection « Poésie/Flammarion ». Nuit majeure paraît en 1968 et Infini au-delà en 1972 (Prix Apollinaire 1973). Multiples voyages à Venise puis en Orient où il rencontrera la femme de sa vie - Nohad Salameh. Retour à Paris en 1987 après des années d’éloignement choisi dans un mas, à Uzès. Il publie alors sa trilogie Les Alphabets du Feu, couronnée par les Grand Prix de Poésie de l’Académie française et de la SGDL. Confronté à de lourds problèmes de santé, il n’en poursuit pas moins son œuvre qu’il élargit et renouvelle, recevant en 2007 le Goncourt de la poésie. En prose, il a donné Le Piéton de Venise (en Livre de Poche), Paris point du jour, Approches de l’art moderne, Monsieur le chat (en Livre de Poche), Venise démons et merveilles. Ses principaux poèmes ont été réunis sous le titre La Combustion de l’ange, tandis que les proses poétiques ont fait l’objet du volume Proses de l’intérieur du poème. Son œuvre autobiographique comprend les mémoires Le Temps est un faucon qui plonge (2018) et sa correspondance avec Nohad Salameh, Ma Menthe à l’aube, mon amante (2019). Dernière parution poétique : Forêts domaniales de la mémoire (La rumeur libre, 2023).
Nus dans un berceau d'orages
A force de se vouloir éternels, ils le devinrent bel et bien
mais seulement un jour sur deux.
Elle porta sa vie à l’envers, du côté des faux fils
tandis qu’il se faisait tailler une nudité sur mesure :
tenue de grillon pénitent rescapé du massacre
des Albigeois
recevant des doigts biseautés de la papesse l’aumône
d’une menue monnaie de chatons - le printemps.
Les défunts n’en revenaient pas : tant de phénix
incendiés dans la vallée de Josaphat !
Loin des géologies sournoises et des sinuosités suicidaires
ils connurent l’effet d’aubaine, délices et volutes,
l’inconcevable diffusion de l’être dans les choses,
tous les surgissements, les vins de glace, les hymnes
et la protection rapprochée de l’abîme.
Une âme musicale était le seul trésor surnageant au naufrage
semblable au grain de sel qui subsiste - feu blanc
après évaporation totale de l’océan.
Les soussignés consentent à devenir étoile, notèrent-ils
en guise de codicille, avec leur sang.
*
Celui qui fait parler les morts
et partage avec eux
son manteau de trous quand il pleut ;
Le porté pâle n’ayant que la poésie sur les os
rt dans la bouche une poignée de clous
en guise de langage ;
L’alchimiste ciblé par l’invisible
avec son cou à découper suivant le pointillé
et ses enjambées sauvages ;
Qui pourrait croire, lorsqu’il arpente,
toisé par les bustes d’aïeux aux cils féroces,
les corridors du château déconcertant
Que tant de commencements trouvent en lui refuge
pour avoir accru de son ignorance
le ciel intérieur des oiseaux ?
Charte
Alliance avec la bête
de la nuit issue et morte,
avec sa toison si douce
qui tant nous épouvanta.
Alliance avec son œil
unique, encore ouvert
sur l’étonnement de naître,
d’apparaître et de finir
en un même bond hagard.
Alliance avec la foudre
et le gibier fabuleux,
alliance avec l’étrange
que nous écrasons : c’est l’Ange.
Fil conducteur
Tout tenait à un fil - la phrase, la destinée - qu’il importait de soutirer aux fuseaux horaires sans resserrer le Nœud gordien de l’origine. L’infini, tapisserie de la reine Arachnide ou tapis de prière replié mille milliards de fois sur lui-même, se concentrait à l’extrémité de l’aiguille liant à l’ombre la lueur, l’esprit à la matière et l’instant à l’éternité. Ceux qui s’efforçaient de surprendre les trajets de la pointe fulgurante risquaient la cécité. L’écriture, main courante au-dessus du vide, incendiait la page pour éclairer les morts. La durée (hors-bord ou missile) noyait les riverains presque sans les mouiller avec la vélocité de l’hélice, de l’ellipse. Nous savions que la mort n’était que clou rouillé enfoncé dans le mur et qu’il nous faudrait tenter d’y accrocher à tout prix le fil à retordre de l’ultime pelote. Toujours, le point d’ancrage se dérobait sous la cordée. Qu’importait à l’inlassable arpenteur cette ligne de démarcation entre deux univers à l’identité incertaine ? Chacun semblait voué à devenir mémoire, trace infime, dépôt au fond de limpidités sournoises où s’embusquait un soupçon de ténèbres. La vie - tragédie-bouffe pour marionnettes - poursuivait sans sourciller ses pêches miraculeuses d’ombres chinoises au large des brisants, tissant, entretissant et métissant le motif implacable sur un canevas de coïncidences fertiles.
Prix Guillaume Apollinaire
Membre du jury
Marc Alyn
Paris, France
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